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Interview Christian Morel
Aux sources de l'absurde

La vie en communauté, et notamment dans l'entreprise, génère des comportements dénués de sens, et parfois lourds de conséquences. Comment les expliquer ? Rencontre avec Christian Morel, sociologue et auteur de « Décisions absurdes » (Gallimard).

Catherine Golliau

Absurde, l'initiative des associés d'Andersen à Houston (Texas) de détruire à la broyeuse des documents comptables d'Enron, leur principal client ? Ahurissante quand on sait qu'un auditeur est le garant des comptes de son client, et décision suffisamment grave pour mettre en péril l'existence même du réseau Andersen dans le monde. Mais combien d'entreprises et d'individus sont morts sur l'autel de l'absurde ? Au palmarès des décisions incompréhensibles : la volte-face du « Sea Star », un pétrolier sud-coréen qui abandonna sans raison sa route normale le 19 décembre 1972 pour heurter de plein fouet un autre bateau. Autre bourde : la décision d'un commandant de bord de la British Midland, le 8 janvier 1987, d'arrêter en vol le seul réacteur de l'avion qui fonctionnait, ce qui a provoqué le crash. Enfin, cas d'école de management : le 28 janvier 1986, la décision de la Nasa de lancer envers et contre tout la navette « Challenger », malgré les doutes des experts sur la fiabilité des joints des fusées qui aident la navette à décoller. Explosion...

A qui la faute ? En général, pour les enquêteurs comme pour l'opinion publique, c'est celle du patron et, dans le cas de « Challenger », celle de la Nasa, coupable de ne pas avoir voulu perdre la face. Mais cette analyse est un peu courte. Pour Christian Morel, 53 ans, les grands faits d'armes de l'absurdité ne naissent pas par hasard, mais de la conjonction de plusieurs facteurs : fautes de raisonnement grossières, perte de vue de l'objectif à atteindre et chocs des interactions entre individus. Le manager peut être coupable, certes, mais aussi l'expert, ainsi que le candide, ce tiers insaisissable qui s'appelle souvent opinion publique.

Le plus inquiétant, dans l'affaire, à l'en croire, c'est la tolérance dont bénéficie au quotidien ce type d'erreurs absurdes. Les palais des gouvernants, les sièges des grands groupes ou les cockpits des avions seraient-ils, chacun à son tour, des variantes de la nef des fous ? Entretien.

LE POINT : Selon vous, qu'est-ce qu'une décision absurde ?

CHRISTIAN MOREL : C'est une décision où l'erreur est radicale ou persistante dans le cadre des codes culturels et intellectuels de celui qui la commet. Il est des faits qui peuvent sembler absurdes mais qui, en fait, relèvent d'une certaine logique. Prenez les roues sans caoutchouc des tracteurs des Amish, dans l'Ohio. Elles ont un sens : les Amish, qui refusent le progrès, ne veulent pas que leurs enfants utilisent les tracteurs comme des automobiles, et donc les rendent inutilisables sur les routes. Cela a un sens. En revanche, l'usage généralisé lors des réunions de transparents dont tout le monde convient qu'ils sont « illisibles » relève de l'absurdité. Comme est absurde la manie de tel groupe international de prendre des décisions depuis des années et, malgré toutes les mises en garde, à partir d'enquêtes d'opinion fondées sur des échantillons trop petits et donc invalides du point de vue de la statistique la plus élémentaire.

LE POINT : Comment en vient-on à prendre ce type de décision ?

C. MOREL : D'abord, il y a faute de raisonnement, et ce même dans des milieux scientifiques. Prenez le cas de « Challenger ». Si les joints étaient défectueux, c'est qu'ils n'étaient pas conçus pour résister au froid. Les ingénieurs de Morton Thiokol, le fabricant, n'avaient pas pris en compte les extrêmes du climat de Floride. Pour eux, c'était un climat doux. Or, le jour de l'accident, le thermomètre était descendu à moins de 1 °C. Ils auraient pu pourtant avoir des doutes. Lors d'un lancement précédent, effectué par grand froid, ils avaient constaté que les joints avaient été endommagés...

LE POINT : Personne n'a envisagé le risque d'un accident ?

C. MOREL : En l'espèce - mais c'est souvent le cas -, il y a conjonction d'erreurs d'appréciation : à l'erreur des experts s'est ajoutée celle de la Nasa, qui a sous-évalué les risques d'échec. Quand les experts du fabricant se sont inquiétés des effets du froid, elle ne les a pas crus. Et elle a estimé qu'il leur revenait de faire la preuve du risque. Faute d'avoir testé auparavant le phénomène, ils n'ont rien pu prouver...

LE POINT : Mais la Nasa, le donneur d'ordre, a pesé sur la décision ?

C. MOREL : Quand on pense absurde, on pense souvent modèle technocratique, décision du chef prise en solo, sans consultation du terrain. En réalité, on trouve toujours trois agents : le manager, l'expert et le tiers, le candide. L'un ou l'autre peut être tour à tour le producteur de l'ordre, le suiveur, l'opposant, voire l'absent. Dans le cas de « Challenger », l'expert n'avait pas les moyens de convaincre le manager, et le tiers était absent du dialogue. En revanche, dans le cas du drame de la transfusion sanguine en France, entre 1983 et 1985, l'expert a imposé sa volonté au manager, en l'occurrence l'Etat. Dans le cas de Tchernobyl, ce sont les techniciens de base qui ont bidouillé le réacteur et qui ont provoqué la catastrophe, la direction et les experts étant absents.

LE POINT : On a l'impression d'un enchaînement infernal qui mène à la décision absurde...

C. MOREL : Certes. Certains facteurs peuvent accélérer l'erreur. Il peut y avoir anticipation croisée des décisions, comme dans le cas de ces pétroliers qui se sont percutés en mer d'Oman. Ils cherchaient tellement à s'éviter qu'ils ont mal anticipé les décisions de l'autre et qu'ils se sont coupé la route. Le silence joue aussi un rôle fondamental. La décision de lancer « Challenger » a été précédée d'une téléconférence entre la Nasa et Morton Thiokol. Or, là, plusieurs des participants qui étaient inquiets des risques sont restés silencieux.

LE POINT : Par peur de la hiérarchie ?

C. MOREL : Pas seulement. Le silence répond souvent aux règles implicites des organisations. Quand on est ingénieur, par exemple, on a tendance à ne parler que si l'on a une bonne connaissance du sujet, si l'on a des données chiffrées. Répéter une objection peut être perçu comme une absence de maîtrise de soi. On peut aussi garder le silence pour ne pas casser la cohésion du groupe...

LE POINT : Mais c'est absurde !

C. MOREL : Ce type de comportement a pour conséquence de minorer les alertes. Lors d'un accident d'avion récent, les pilotes qui manquaient de carburant à force de tourner en l'air ont prévenu à plusieurs reprises la tour de contrôle, mais avec un tel sang-froid que les contrôleurs n'ont pas compris l'urgence de la situation, et l'avion s'est écrasé.

LE POINT : Les acteurs n'ont pas conscience que la situation est irréaliste ? Qu'ils sont en plein délire ?

C. MOREL : Souvent, les erreurs absurdes sont liées à la perte de sens de l'objectif à atteindre. C'est le syndrome du pont de la rivière Kwai : un colonel anglais qui a résisté héroïquement sous la torture que lui infligent les Japonais va tout faire pour construire un pont à l'usage de ses ennemis. Dans le cas de « Challenger » est venu un moment où la seule chose qui a compté était de faire partir coûte que coûte la navette. Et même la direction de Morton Thiokol a voté pour le départ. Contre l'avis de ses ingénieurs !

LE POINT : L'absurdité de masse, cela existe ? Par exemple, peut-on dire que les 35 heures ou la retraite à 60 ans sont des décisions absurdes ?

C. MOREL : Oui pour ceux, salariés ou chômeurs, qui avaient d'autres attentes. Oui en matière de financement des retraites. Mais, en matière politique, les décisions sont toujours soutenues à des degrés divers, et ceux qui doutent finissent par accepter bon gré mal gré les situations. Beaucoup aussi sont indifférents. Les décisions entrent dans les moeurs et les institutions. S'instaure alors une sorte de tolérance collective

© le point 19/04/02 - N°1544 - Page 100 - 1319 mots

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